Recours habile à notre mémoire des marques

Les champions de ski suisses se battent pour gagner quelques dixièmes, voire quelques centièmes de seconde en vue de remporter un titre mondial ou une médaille dans leur discipline. Dans cette course à la victoire, les récentes avancées réalisées dans le secteur des sports de neige jouent un rôle important. Mais qui sait comment est faite la structure des skis du vainqueur ou de quelles fibres se compose sa combinaison°? Après avoir franchi la ligne d'arrivée, le descendeur, à bout de forces, lève traditionnellement la pointe de son ski arborant le logo du fabricant. Parfois, les skieurs particulièrement rapides vont jusqu’à caresser ou embrasser les lattes glacées.

Certaines marques de ski tentent en outre de faciliter la mémorisation de leur gamme de skis par l'utilisation d'une abréviation, à la façon d'un label de qualité. Il suffit de penser aux séries «°RC4°», «°Racetiger°» ou «°Laser°», toutes très rentables, puisqu’elles suggèrent au skieur amateur qu'il lui suffit de chausser ces skis pour devenir un champion de la glisse.

Dans le placement de produits, on oublie souvent la combinaison de ski. La légendaire combinaison «°fromage°» des membres de l'équipe nationale de ski constitue une exception. Six ans durant, des stars populaires du cirque blanc comme Didier Cuche ont dévalé à toute allure les pistes de Coupe du monde dans cette fameuse combinaison jaune fromage et arraché des victoires.

Lors des Jeux olympiques de 1994, le magazine Time décerne même la palme de l’originalité à la combinaison helvétique. Mais avec le changement des principaux sponsors de la Fédération suisse de ski, la tenue officielle connaît elle aussi un nouveau design.

Le design de la combinaison «°fromage°» semble avoir été redécouvert : le 19 janvier 2021, le Consortium Emmentaler AOP dépose une demande (851/2021) pour protéger le trou de fromage à titre de marque figurative non seulement pour du fromage, mais aussi pour des vêtements de sport,

faisant visiblement appel à la mémoire des marques du public. Il tente ainsi de profiter des émotions positives associées aux succès remportés. Pour se protéger contre la contrefaçon, le Consortium ne laisse plus rien au hasard dans le but de s’assurer le monopole sur le design dans les domaines pour lesquels il a revendiqué la protection. Cela prouve à quel point il est important, de nos jours, de protéger, sur le plan juridique, les caractéristiques qui font l’identité d’un produit. Sur les marchés saturés d’aujourd'hui, des caractéristiques distinctives uniques constituent un bien d’une grande valeur qui ne peuvent être obtenues qu’au prix d’investissements financiers importants. Sous cet angle, le recours à la mémoire des marques paraît donc une manœuvre habile.

L’avenir nous dira si l'on verra des soi-disant ambassadeurs de l'Emmental dévaler à nouveau les pentes enneigées ou si le Consortium se limitera à proposer le fromage dans son emballage caractéristique. Protéger légalement ses propres caractéristiques distinctives uniques demeure toutefois une stratégie vivement conseillée.